Histoire du personnage
Si vous étiez là quand je vous ai raconté l’histoire de Swann Eberhart, alors nous nous connaissons déjà un peu. Pour les autres, je vais vous offrir une petite séance de rattrapage… De rien.
Je suis née à Austin au Texas. Ouai, chez les cow-boy les gars! Je n’ai pas de frères et sœurs et tant mieux pour eux… J’aurais sans doute été une sœur chiante. Loyale, fidèle, mais chiante. Je considère Swann comme ma sœur alors elle pourrait sans doute vous le confirmer. Nous nous sommes connues à la maternelle et nous ne nous sommes jamais quittées depuis. D’Austin à New-York. Nous avons commencé la danse à 6 ans et même si je me débrouillais bien, Swann était un cran au-dessus de nous toutes, petites apprenties ballerines. Je lui enviais parfois ses facilités mais je ne l’ai jamais jalousée. J’étais même fière d’être son amie. Sa meilleure amie.
Se retrouver à New-York aussi jeunes nous a forgé un certain caractère. Bon d’accord, en fait, j’avais déjà un sale caractère à l’époque alors c’est vous dire si ça ne s’est pas arrangé avec les années. C’est à ce moment-là, celle du lycée, que Swann et moi avons pris des voies légèrement différentes. Elle allait passer danseuse professionnelle et je ne me faisais pas de souci pour la suite, elle serait danseuse étoile en quelques années seulement. C’était juste une évidence. De mon côté, j’avais opté pour l’enseignement. Ce n’était pas un plan B mais un vrai choix. Il y avait un peu moins de pression et puis ça me plaisait de pouvoir partager mon savoir. De m’enthousiasmer devant des progrès ou d’encourager dans les difficultés. Je n’avais pas besoin de la lumière des projecteurs. Evitez juste de dire à mes supérieurs que je fais danser mes p’tites poupées sur du rock… Y’a des mentalités qui évoluent moins vite que d’autres. N’empêche que des pointes, des entrechats et des pirouettes sur du Linkin Park, je vous assure que ça déboîte !
Je disais quoi déjà ? Ah oui, le lycée, tout ça, tout ça… Les années ont passé, Swann a gravit les échelons, elle s’est faite remarquée et a décroché le titre de danseuse étoile. Et puis est venue l’année ou le New York City Ballet a programmé « Le Lac Des Cygnes » pour son ouverture de saison. Malgré la compétition féroce, Swann a décroché le rôle. Mais à quel prix ? J’ai vu ma meilleure amie se tuer à la tâche, répétant en ignorant la douleur. Comme si le rôle ne la quittait plus, elle était devenue impossible à suivre. Cygne blanc et cygne noir.
Dès que je n’avais pas de cours à donner, je me précipitais pour veiller sur elle. L’avantage de travailler à l’Opéra c’était d’avoir à parcourir quelques couloirs pour retrouver ma meilleure amie. Bon bah on peut dire que j’ai foiré.
J’étais là quand j’ai vu son fiancé se comporter comme un goujat. Là quand il a été violent la première fois et que Swann a tenté de camoufler les coups sous du fond de teint. J’étais là mais je n’ai jamais réussi à la protéger et encore aujourd’hui, ça me tue. Je n’avais jamais apprécié son fiancé et j’aurais aimé trouver un moyen d’ouvrir les yeux de la ballerine avant qu’il ne soit trop tard. J’aurais aimé l’arracher à ses répétitions pour qu’elle ne finisse pas par avoir peur de son propre reflet. Je voyais Swann sombrer psychologiquement pendant sa marche vers les sommets. Sa passion et son amour allaient la détruire.
J’étais donc là aussi quand tout s’est écroulé ce soir de septembre 2013. Swann avait été parfaite, on lui avait attribué le titre de
Prima Ballerina à la fin du ballet. La consécration. Tout le monde était en joie. Sauf Swann. Au premier rang, j’avais vu dans le regard de la ballerine la douleur.
Si je vous parle autant de Swann, au cas où vous ne connaîtriez pas encore son histoire, c’est parce que mon histoire est intimement liée à la sienne. Après cette soirée d’ouverture de la saison, jamais réticente à l’idée de faire la fête, j’avais profité de la soirée. Swann m’avait assuré que ça allait et m'avait offert sa meilleure performance d'actrice de la soirée pour réussir à me convaincre qu’elle avait envie de profiter de la soirée. Et moi, je n’ai rien vu. Mais si j’avais su ! Au cours de la soirée, je n’arrivais plus à voir Swann au milieu de la foule mais je ne m’étais pas inquiétée. La danseuse étoile faisait sans doute le tour des invités prestigieux au bras du chorégraphe. Ce n’est qu’en sortant du conservatoire, particulièrement joyeuse, que je découvrais les messages de Swann.
« Merde ! » J’avais arrêté un taxi et grimpé dedans à toute vitesse. J’espérais qu’elle s’était souvenu de l’endroit où je cachais la clé de secours pour ne pas avoir à m’attendre devant la porte. Je m’en voulais de ne pas avoir vu les messages plus tôt. En arrivant chez moi pourtant, la porte était verrouillée et l’appartement vide. J’avais essayé d’appeler Swann plusieurs fois mais elle n’a jamais répondu. J’ai eu un mauvais pressentiment et je suis repartie en direction de l’appartement de la ballerine.
Je n’en parle jamais. Je ne l’ai jamais dit à Swann, mais la vision d’elle allongée sur le sol, incapable de bouger, me hante encore. Parfois j’en fais des cauchemars. Je suis restée avec elle jusqu’à ce que les secours arrivent mais je savais déjà que ce serait grave. Peut-être même irréparable. S’en sont suivi des mois d’opérations et d’hôpital. Des médecins tous plus compétents les uns que les autres, déterminés à redonner ses jambes à Swann qui n’était plus qu’une coquille vide.
Quand elle est sortie, elle a eu envie de rentrer à la maison. J’ai respecté sa décision et trouvé un loft qui lui conviendrait pour une vie en fauteuil et un centre de rééducation performant. Et puis la question de la suivre ou non ne s’est jamais posée. Ça avait été une évidence. Tout le monde me disait que j’allais regretter de renoncer à une carrière de professeur dans une aussi grande compagnie mais je ne pouvais pas laisser Swann rentrer chez nous toute seule.
Oh je vous vois venir avec votre psychologie de comptoir. Vous vous dites que je me sentais coupable et que j’ai sacrifié ma carrière pour me racheter mais non. Effectivement, je me suis sentie coupable et même encore maintenant mais c’est juste que je suis comme ça. Si vous et moi devenons amis, vous verrez, je n’ai pas ma langue dans la poche et je suis chiante (je l’ai déjà dit nan ?) Mais si vous tuez quelqu’un je viendrai vous aider à enterrer le corps. L’amitié, la famille c’est sacré. Tant pis pour les conséquences, je répondrais toujours présente.
Bref ! A notre retour à Austin, j’ai trouvé un poste de professeur de danse au conservatoire. Et peu importe ce qu’en pensaient les gens, je m’éclatais. Je m’occupais de mes p’tites lutines – surnom que je donne à mes ballerine mini-pouce – et m’épanouissait comme jamais. J’ai la réputation d’être un peu trop décalée aussi bien dans mon look que le choix de mes musiques mais comme mes p’tites poupées avaient le niveau et progressaient, et que j'étais une danseuse relativement douée, assez pour qu'on lui passe un certain nombre de choses, on ne me disait trop rien. Entre nous, j’aime bien dérangé ces esprits un peu trop coincés parfois.
Pour en revenir à ma meilleure amie, j’ai soutenu Swann même quand elle n’en avait pas envie. Je suis comme ça avec elle. Je la couve, je la surprotège, je la bouscule parfois quand il le faut puis je m’excuse (parfois la minute qui suit mon coup de gueule).
Et puis un jour, finalement, Swann a senti à nouveau ses jambes. La rééducation fut éprouvante mais je l'encourageait et la ténacité de ma meilleure amie a payé. Aujourd'hui elle marche, court, et danse même à nouveau. J’ai eu du mal au début. Voir Swann remarcher me faisait énormément plaisir mais c’était compliqué de la voir à nouveau indépendante. J’avais tellement pris l’habitude d’être là pour elle que j’ai encore du mal à la laisser se débrouiller toute seule. Alors dans ces moment-là, elle m’envoie balader et c’est mérité. J’encaisse et je m’adapte.
J’ai consacré mon temps à la danse et à ma meilleure amie pendant toutes ses années. Avant le drame, j’avais connu quelques histoires. Aucune n’a duré vraiment longtemps même si une ou deux ont été marquantes. Je n’ai pas un caractère facile, je suis plutôt entière et ça me rend parfois usante, faut l’avouer, même si j’ai des bons côtés. Si si si ! Je vous assure ! Et avec le drame qui a touché Swann, ça a été encore pire. Je n’ai pas le temps pour une relation stable et de toute façon je n’en veux pas. J’avais huit ans quand mon père a quitté ma mère et qu’elle est devenue une épave. Ça ne donne pas vraiment envie de tomber amoureuse. Et quand à 20 ans j'ai retrouvé ma mère morte dans notre appartement parce qu'elle avait décidé d'en finir, j'ai définitivement décidé de rester loin des sentiments amoureux (mais pas loin des hommes pour autant)
Swann reprenant son indépendance et étant totalement libre de choisir sa route, j’ai du apprendre et j’apprends toujours à nouveau à penser un peu à moi et à penser autrement que pour deux. Je ne le montre pas, mais ça me perturbe presque plus que tout ce que j’ai pu vivre jusque-là. Je me sentais utile et c'est moins le cas à présent, même si notre complicité est intacte et qu’on se voit toujours autant (et que je me mêle toujours autant de ses affaires). Alors quand Swann est venue me trouver en me disant : retournons à New York, créons notre compagnie de danse, j'ai pas longtemps hésiter. ça me permettait d'avoir un nouveau projet et de revenir vivre à New-York, ville que j'aime plus que tout.
Ma meilleure amie, la danse et quelques histoires sans lendemain, j'ai mon équilibre parfait ici.